Une étrange sensation d’amertume. Une impression d’avoir perdu autant que gagné le combat.
En 2016, les familles homoparentales auraient dû se réjouir : les évolutions réalisées en faveur de l’égalité des droits depuis les 20 dernières années ont été considérables avec la consécration du PACS puis de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Nul ne peut en effet renier l’action du Gouvernement et tout particulièrement de Madame Christiane Taubira, ex Garde des Sceaux qui, à contre-vents et manifs-pour-tous, a tenu le cap et permis le vote d’une loi offrant la sécurité juridique et la reconnaissance de la filiation pour toutes les familles. Les personnes homosexuelles peuvent à présent se marier et adopter l’enfant de leur conjoint : le chemin à parcourir reste pourtant interminable à tous points de vue, tant les concessions aux opposants aux mariage pour tous ont été nombreuses.
La première et la plus évidente des aberrations consiste évidemment en l’absence d’ouverture de l’aide médicale à la procréation pour les couples de femmes en France, promesse non tenue du candidat Hollande alors qu’il a toujours été clair que l’ouverture de l’adoption était principalement destinée aux couples de femmes ayant conçu un enfant avec l’aide d’un tiers donneur. L’hypocrisie veut donc que des dossiers d’adoption plénière de l’enfant du conjoint sont traités et validés par tous les Tribunaux de France, sans qu’aucun couple ne soit autorisé à bénéficier d’une procréation médicalement assistée en France et donc à une prise en charge par la sécurité sociale, le coûts du procédé s’ajoutant aux frais de transports à la charge des familles.
Pour aller plus loin, la réelle hypocrisie réside dans la nécessité d’avoir recours à une procédure d’adoption. Ainsi, lorsqu’un enfant nait au sein d’un couple marié hétérosexuel s’applique une présomption de parenté, ce qui signifie que la filiation de l’époux est automatiquement établie. Lorsqu’un enfant nait au sein d’un couple marié homosexuel, nulle présomption et l’enfant ne dispose d’une filiation qu’à l’égard de son parent biologique. Le parent social (celui qui n’a pas de lien biologique avec l’enfant) est donc contraint de se soumettre à une procédure judiciaire et à une attente de plusieurs mois avant de voir reconnaître sa filiation à l’égard de l’enfant, au détriment bien sûr de l’intérêt supérieur ce dernier en cas de décès du parent légal.
Et le statut du parent social, précaire dans l’attente de l’établissement de la filiation, se réduit considérablement en l’absence d’adoption : en un tel cas, bien qu’un nouvel alinéa 2 de l’article 371-4 du Code civil lui permet d’obtenir, si certaines conditions sont respectées, l’obtention d’un droit de visite et/ou d’hébergement à l’égard de l’enfant, ce droit est loin d’être acquis et doit faire l’objet d’une procédure contentieuse devant le Tribunal. De nombreux parents sociaux hésitent d’ailleurs à faire valoir leurs droits, de peur d’être coupés de leurs enfants dans l’attente de la décision de justice : cette épée de Damoclès est insupportable, et une place intangible doit être réservée aux parents sociaux.
Enfin, et la liste des combats n’est évidemment pas exhaustive, le sort réservé aux enfants nés par gestation pour autrui se doit d’être sécurisé, afin de permettre la transcription des actes de naissance étrangers sur les registres de l’état civil français, que ces actes mentionnent la présence d’un seul parent, des parents légaux ou des parents d’intention : l’Etat de droit se doit de reconnaître l’existence de ces « fantômes de la République », et de leur garantir le droit au respect de leur vie privée et familiale.
Ainsi, le chemin vers l’indifférence est encore long : rendez-vous dans 20 ans ?
Maître Emilie Duret
Avocate Gay-friendly à Paris Membre de la commission juridique de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens
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